L’avocat, ce « médecin » du droit

L'avocat et le médecin ont bien plus en commun que vous ne le pensez. L'humain est au cœur de leur métier, souvent choisi par vocation.

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Un de mes clients me disait récemment lors d’une consultation, « en fait, vous êtes un peu comme un médecin? ». Je trouve cette remarque assez juste. Je me suis donc donnée pour mission d’en faire un article, afin d’étudier leurs similitudes et leurs différences, dans les grandes lignes.

Aux termes de mes premières recherches, j’ai vite réalisé que cette comparaison entre un médecin et un avocat était assez simpliste, voire parfois caricaturale.

Sur le site Internet Evène dédié aux proverbes, il est indiqué qu’au 19e siècle, l’écrivain Russe Anton Tchekhov (1860-1904) a écrit : « Il en est des médecins comme des avocats. La seule différence c’est que l’avocat se contente
de vous voler alors que le médecin vous vole et vous tue par la même occasion »1. Cette phrase évidemment ironique et peu flatteuse, paraît bien éloignée de la réalité.

S’il est vrai que les résultats de la recherche Google sur une telle comparaison entre un médecin et un avocat nous orientent rapidement vers l’aspect financier de ces deux professions, cela est à mon sens fortement réducteur et généralement erroné. D’une part, les sources et statistiques relatives à la rémunération de ces deux professions sont assez variées et leur fiabilité n’est pas certaine2. D’autre part, il semblerait que dans les dix premières années de carrière, les médecins généralistes3, comme les avocats4, gagnent correctement leur vie, mais ces montants sont avancés avant déduction de leurs charges. De plus, il est nécessaire de rappeler que pour ces deux professions, les études sont souvent longues et difficiles, et que le temps de travail hebdomadaire est important, entre 45 et 60 heures en moyenne, ce qui ramène à un taux horaire décent. Enfin, la rémunération dépendra aussi et surtout de la spécialité du professionnel et de son domaine d’activité.

La comparaison entre un avocat et un médecin est beaucoup plus pertinente d’un point de vue de l’essence et de la finalité de leur métier respectif.

Un article intitulé « Juristes et médecins condisciples d'une même loi naturelle ? (Plaidoyer pour
les sciences de la vie) », paru sur La Base Lextenso5, semble s’être déjà intéressé aux similitudes de ces deux professions au prisme de la loi naturelle. Cet article révèle une citation d’un ancien Bâtonnier qui est à relever pour son trait humoristique : « l'inconvénient avec l'hôpital ou le palais de justice est toujours le même. Si l'on sait comment on y entre, on ne sait jamais comment on en sortira »6.

Il n’est pas inutile de rappeler qu’avocat et médecin prêtent tous deux un serment avant d’exercer leur profession. Le serment du médecin, le célèbre serment d’Hippocrate, énonce principalement : « Je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé (…). Je respecterai toutes les personnes (…) sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger (…). J’informerai les patients (…) Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets (…). »7. Le médecin se doit également de respecter les grands principes régis par le Code de déontologie des médecins8. Le serment de l’avocat, tout aussi évocateur, énonce quant à lui : « Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».
L’avocat se doit également de respecter les principes essentiels de la profession qui sont régis par le Règlement Intérieur National (RIN)9. Ainsi, entre autres, l’avocat s’engage à respecter les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie, etfaitpreuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence10.

Ainsi, les deux professions, bien que distinctes par leur nature, partagent de nombreuses obligations fondamentales et déontologiques.

Tout d’abord, le principe d’indépendance, principe fondamental inscrit dans le code de déontologie des médecins11 et dans le RIN de la profession des avocats12, permet un certain recul et une impartialité du professionnel dans l’analyse de la situation médicale ou juridique de son interlocuteur.

Ensuite, il y a nécessairement le devoir de conseil et d’information. Le médecin a une obligation d’information sur les actes médicaux, les risques et leurs conséquences, tandis que l’avocat a une obligation d’information
sur les risques liés à la situation juridique et les risques et/ou chances de succès. Il est donc nécessaire pour ces deux professions de se tenir constamment informés des dernières actualités. Le médecin et l’avocat ont donc encore ce point commun d’être nécessairement de bons chercheurs et analystes.

Ils ont également tous les deux un devoir d’écoute. Sur ce point, l’avocat est le confident de son client (article 2 RIN). Il est digne de confiance, et se fait une oreille attentive de lapersonne qui a besoin de son expertise sans porter de jugement sur l’affaire qui lui est confiée. Il en est nécessairement de même du médecin, qui est le confident de son patient, bien que ce principe ne soit pas inscrit dans le code de déontologie. Le médecin
doit en effet avoir les qualités d’écoute, d’empathie, de respect et de sincérité13.

En tout état de cause, la relation d’un avocat avec son client comme celle d’un médecin avec son patient doit être une relation privilégiée, de qualité et de confiance. Toutefois, celle-ci est parfois ternie par de nouvelles contraintes, telles que le manque de temps, l’augmentation des tâches administratives, la gestion du stress, le développement des nouvelles technologiques, etc14.

Lacomparaison entre ces deux professionnels est donc plus particulièrement pertinente s’agissant de la résultante de ce lien si particulier de la confiance entre le client et son avocat d’une part, et le patient et son médecin, d’autre part : il s’agit bien évidemment du secret professionnel. Ce secret de l’avocat est essentiel pour garantir la défense des intérêts du client, et ce secret du médecin est essentiel afin de protéger la relation de confiance entre le praticien et son patient. Le secret professionnel est absolu et d’ordre public. Cette
question de la comparaison du secret du médecin et de l’avocat a d’ores et déjà été posée de manière détaillée dans un article paru en 2019 dans la Gazette du Palais15.

Tous deux ont aussi pour mission ultime de protéger : l’un va protéger les droits et intérêts de son client, dans une logique de justice dans le cadre d’une société démocratique, tandis que l’autre va protéger la vie et la santé de son patient, dans une logique de soin et d’éthique.

D’autres missions aussi importantes incombent plus particulièrement à l’avocat, telles que : représenter et défendre les intérêts de son client, constituer un dossier et rédiger des actes (recours, mémoires, etc), plaider devant les juridictions. Ainsi, l’avocat doit être un bon rédacteur, mais aussi un bon orateur en ce qui concerne les avocats plaidants.

En résumé, les médecins et avocats partagent de grands et beaux principes communs, tels que le secret professionnel, l’indépendance et le devoir de conseil. Toutefois, leurs devoirs diffèrent nécessairement compte tenu de leurs missions respectives et de leurs finalités. Il arrive ainsi que les deux professions se rencontrent, s’allient, ou s’opposent, notamment lors d’expertises16ou d’actions en responsabilités17.

Juliette CHORON

Avocate au Barreau de Paris

Références:

6 Ibid.

10 Article 1 du RIN

11 Article 4 du Code de déontologie des médecins

12 Article 1 du RIN

13 V. en ce sens : D. BONTOUX, A. AUTRET, Ph. JAURY, B. LAURENT, Y. LEVI, JP. OLIE, « La relation médecin-malade », séance de l’Académie nationale de médecine du 22 juin 2021.

14 Ibid.

15 « Secret du médecin, secret de l’avocat : un ou deux secrets ? », Gazette du Palais, 08 octobre 2019, n°34, p.16.

17 Me H. FABRE, « Le rôle de l’avocat au côté du médecin dans le procès en responsabilité médicale en France», Colloque Académie nationale de chirurgie du 9 avril 2008 : https://e-memoire.academie-chirurgie.fr/ememoires/005_2008_7_2_065x069.pdf