CNDA, 22 septembre 2023, n°22059266
Dans un jugement n°22059266 du 22 septembre 2023, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé la décision du Directeur général de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) sur le motif tiré de l’absence d’examen du dossier du demandeur d’asile par les services de l’OFPRA, et a renvoyé devant l’OFPRA l’examen initial et complet de sa demande de protection internationale (CNDA, 22 septembre 2023, n°22059266).
Cette décision est notable car elle s’inscrit dans une jurisprudence relativement récente et novatrice de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).
En effet, pour la première fois, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé une décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) sur ce motif de « défaut d’examen individuel de la demande
d’asile » dans une décision similaire datée du 24 février 2021 (CNDA, 24 février 2021, M. M., n° 20032375 C+).
Dans cette décision classée C+, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) avait relevé que le défaut d’examen de la situation du demandeur d’asile était caractérisé par le fait que la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), qui était par ailleurs libellée au nom du requérant et qui indiquait son numéro d’enregistrement, comportait néanmoins une motivation manifestement semblable à la situation d’un autre demandeur d’asile, aux motifs que : « Cette décision, qui porte le numéro de sa demande, et qui est libellée à son nom et prénom, comporte cependant une motivation se rapportant manifestement à la situation d’un autre demandeur d’asile, dès lors que cette motivation comporte un nom qui n’est pas le sien et des craintes qui ne se rapportent pas à sa situation personnelle. Dans ces conditions, et alors que l’Office n’a pas répondu à la demande du conseil du requérant, faite par courriel du 2 octobre 2020, afin que le requérant puisse se voir notifier les réels motifs du rejet de sa demande, M. M. est fondé à soutenir que la décision attaquée ne permet pas de s’assurer que l’administration a procédé, comme elle en a l’obligation, à l’examen individuel de sa demande, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 733-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
En retenant ainsi que la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) ne lui permettait pas de s’assurer que l’administration avait bel et bien procédé à un examen individuel et réel de sa demande, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a affirmé que la décision de l’Office Français de Protection des patrides (OFPRA) devait, à peine d’annulation, garantir notamment par son contenu de l’existence de l’examen individuel de la demande d’asile tel qu'exigé par les dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Dans les faits, un demandeur d’asile originaire du Tchad craignait d’être persécuté ou exposé à une atteinte grave par les proches d’un individu d’ethnie Zaghawa, en cas de retour dans son pays d’origine, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités locales. Il a donc demandé une protection internationale auprès de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), qui a été rejetée. Le requérant a ensuite fait appel de cette décision devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) qui rendu un jugement le 22 septembre 2023, soit un an plus tard.
Dans cette affaire, le défaut de motivation de la décision de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) était manifeste. En l’espèce, la décision litigieuse de rejet de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) comportait un erreur sur l’identité de la personne (prénom et nom) et énonçait des faits erronés : elle reprenait intégralement la motivation d’une autre décision prise simultanément par l'Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) dans un autre dossier, en l’occurrence celui de son frère.
Dès lors, au regard de l'absence d’éléments factuels précis, mais aussi du caractère erroné des faits mentionnés qui fondaient pourtant la décision, l’intéressé n’était absolument pas dans la capacité de comprendre en tant que tel les motifs de la décision qui lui étaient opposés.
Cependant, le moyen tiré du défaut de motivation n’a cependant pas été retenu par le Juge, qui s’est légitimement fondé sur le défaut d’examen individuel prévu à l’article L. 532-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Auxtermes de l’article L 532-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) :
« La Cour nationale du droit d'asile ne peut annuler une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et lui renvoyer l'examen de la demande d'asile que lorsqu'elle juge que l'office a pris cette décision sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d'un entretien personnel avec le demandeur et qu'elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection au vu des éléments établis devant elle.
Il en va de même lorsque la cour estime que le requérant a été dans l'impossibilité de se faire comprendre lors de l'entretien, faute d'avoir pu bénéficier du concours d'un interprète dans la langue qu'il a indiquée dans sa demande d'asile ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, et que ce défaut d'interprétariat est imputable à l'office. Le requérant ne peut se prévaloir de ce défaut d'interprétariat que dans le délai de recours et doit indiquer la langue dans laquelle il souhaite être entendu en audience. Si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l'intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend ».
Dans sa décision, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a tout d’abord rappelé le principe selon lequel le moyen relatif au défaut de motivation et donc de l’illégalité d’un acte n’était pas opérant en matière de plein contentieux, mais que l’office du juge de l’asile était celui de se prononcer sur le droit du requérant à une protection au vu de l’ensemble des circonstances de faits dont il a connaissance au moment où il statue.
Il est en effet de jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour nationale du droit d'asile, qui statue comme
juge de plein contentieux sur le recours d'un demandeur d'asile dont la demande a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), de se prononcer elle-même sur le droit de l'intéressé à la qualité de réfugié ou, à défaut, au bénéfice de la protection subsidiaire, au vu de l'ensemble des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue (Conseil d'État, 2ème chambre, 11 mars 2024, n°471007).
Il n’en demeure pas moins que ces deux notions de motivation et d’examen individuel sont particulièrement connexes puisque le défaut de motivation augure bien souvent un défaut d’examen réel et sérieux de la situation individuel du requérant par les services de l’administration.
Dans cet arrêt du 22 septembre 2023, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a donc retenu le moyen tiré de l’absence d’examen individuel par les services de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) de la demande d’asile du requérant, aux motifs que : « 2.Toutefois, il ressort de l’instruction qu’à la suite de son entretien devant l’OFPRA (...) M. X a vu sa demande de protection rejetée par une décision du 22 septembre 2022. Cette décision, qui porte le numéro de sa demande et qui est libellée à son nom et prénom, comporte une motivation se rapportant manifestement à la situation de son demi-frère, M. Y, puisque celle-ci se réfère aux seuls nom et prénom de ce dernier et lui oppose les faits allégués en des termes discordants tant avec ses propres déclarations lors de son audition par l’Office qu’avec les pièces du dossier, notamment en ce qui concerne la date de délivrance de son passeport. Dans ces conditions,M. X est fondé à soutenir que la décision attaquée ne permet pas de s’assurer que l’OFPRA a procédé, comme elle en a l’obligation, à l’examen individuel de sa demande, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 532-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
En conclusion, la Cour a estimé qu’elle ne pouvait s’assurer de la réalité et du sérieux de l’examen individuel de la demande d’asile du requérant par l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), comme elle en a pourtant l’obligation, compte tenu des erreurs nombreuses et grossières commises par l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) dans sa décision de rejet.
Néanmoins, concernant le fond de la demande d’asile, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a considéré qu’elle n’était pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur sa demande de protection.
Cette position n’est pas surprenante sur le principe puisqu’elle s’inscrit dans une pratique habituelle de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) en cas d’annulation sur ce fondement.
En réalité, ce choix de renvoi est même compréhensible en l’espèce dans la mesure où le requérant, dûment convoqué, était absent lors de son audience à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Par conséquent, le juge qui estimait qu’il subsistait encore des zones d’ombres dans ce dossier, ne pouvait pas procéder à l’audition de ce dernier afin d’obtenir des explications plus substantielles et devait donc se contenter de se référer au récit initial du requérant, à l'entretien réalisé à l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA), ainsi qu’à son recours introduit devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). Sur ce point, le juge a donc estimé que le demandeur d’asile n’avait pas « apporté les précisions nécessaires à l’établissement de la crédibilité des craintes alléguées à l’appui de sa demande de protection ».
Par conséquent, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a annulé la décision déférée de l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) en ce qu’elle témoignait de l’absence d’examen sérieux de la demande d’asile du requérant, tout en choisissant de renvoyer une nouvelle fois devant l’Office Français de Protection des Apatrides (OFPRA) le demandeur d’asile aux fins de procéder à un nouvel examen de sa demande de protection internationale.
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Je suis ravie de cette décision positive et espère sincèrement que d’autres clients que j’assisterai dans le futur obtiendront également satisfaction.